Prunelle Tigé, la musique corps et âme
Photo : DR

Prunelle Tigé, la musique corps et âme

Voilà bientôt deux ans que Prunelle a quitté son nid biterrois pour s’établir à Paris, la grande, la lumineuse. La vénéneuse aussi. Fuite en avant vitale, ambition artistique, nécessité d’un ailleurs. Rendez-vous est pris place de la Sorbonne, au cœur du quartier latin synonyme de bohème estudiantine quelque peu anachronique. Devant son demi de blonde la jeune femme se livre sans fard, sourire rayonnant accroché au visage. Pourtant, comme tout être sur cette planète doué d’une sensibilité à fleur de peau, la chanteuse porte en elle des peines immenses, des bleus à l’âme. Musicienne à la technique déjà bien assurée, il faut entendre ses notes magiques sortir avec aisance de tout son corps qui résonne. Une douceur infinie, chaleureuse et cristalline, une voix miraculeuse dont la puissance fragile ferait pleurer un roc. Dialogue avec une petite diva biterroise de 20 ans.

Souvent, l’élément déclencheur, les prémices d’une passion et d’un choix de vie en disent beaucoup sur le parcours à venir, sur la personnalité de l’artiste. Comment ça s’est passé pour toi ?
Avant de choisir la musique, j’étais sur un autre chemin. J’avais 8 ans et j’étais très douée pour le tennis, à tel point que malgré mon jeune âge la Fédération Française s’intéressait déjà à moi. Mais il se trouve que mon prof de tennis avec qui j’avais une super relation jouait aussi de la guitare dans un groupe nommé Les Shadoks qui reprenait de la chanson française comme Brel, Brassens etc. Il m’invite à venir les voir jouer à la Gambille, une guinguette bien connue pour son ambiance festive sur le bord du Canal du Midi. J’ai été fascinée, comme envoûtée par le concert. Un élan m’a poussé à participer, et je suis montée sur scène, comme ça, à 8 ans. J’avais le trac mais je l’ai fait. J’ai pris le micro et j’ai chanté. Les Shadoks m’ont alors proposé d’apprendre « Madeleine » de Brel pour la chanter à leurs côtés lors de prochains concerts. J’ai tout de suite accepté et j’ai beaucoup travaillé.

Et tout s’est enchaîné ?
Oui. À partir de là, je n’ai jamais arrêté. Mes parents m’ont offert ma première guitare. Ils n’étaient pas musiciens mais des femmes de ma famille m’ont transmis cet amour de la musique. Ma mère, c’était le rock. À ce moment là, c’était sa période Muse et Green Day à fond dans la maison. Et ma grand-mère qui était éprise de chanson française m’a fait écouter Barbara, une découverte qui fit puissamment écho plus tard.

On n’a qu’une seule vie

On peut parler d’une certaine précocité à cet âge-là. Estimes-tu avoir un talent inné pour le chant et la musique ?
Oui, j’avais des facilités, c’était assez naturel chez moi je ne peux pas le nier. Mais j’ai pris des cours de chant qui m’ont beaucoup apporté. Tu peux apprendre à te dépasser avec le ou la prof qui te correspond. Tu utilises tout ton corps, tout ton souffle, c’est très physique. Quand tu pousses, tu trembles, t’as la tête qui tourne, t’es épuisée à la fin du cours. J’en ai même pleuré, il y a un effet cathartique, c’est ton âme qui sort de ta bouche ! Mon ami est un très bon batteur, sorti de 15 ans de conservatoire, il m’apprend beaucoup de choses également, le tempo, les rythmes, les temps, les structures… Plus tu comprends la théorie, plus ça t’ouvre de portes, de possibilités, notamment pour la composition et l’improvisation. Je pianote un peu aussi, j’aime beaucoup, il y a quelque chose de très instinctif, j’aimerai apprendre à bien jouer. Composer au piano ça doit être génial.

Qu’évoque pour toi le mot artiste ?
Je dirais que c’est une certaine sensibilité, un état d’âme, une façon de penser, de voir la vie ! Je me sens artiste quand je me lève le matin, quand je mange, quand je me couche. C’est un moyen de sortir les émotions enfouies en nous. Même sans parler directement de ce qu’on ressent, c’est un exutoire, on se libère, ça fait du bien. Une façon de chercher des réponses aussi. Qui suis-je ? Quelle est ma place ? On a qu’une seule vie…

Photo : DR

Nos chemins de vie sont faits de rencontres, de lieux, de croisements, de liens. Ton parcours en est déjà très riche. Tu donnes l’impression d’être un centre de gravité et on se dit qu’il n’y a ni hasard ni destinée, mais plutôt des chances que l’on provoque, des devenirs à épouser.
Béziers a été un point de départ, c’est ma ville natale, je la porte dans mon cœur. Ce sera toujours un repère pour moi. Bien sûr j’y ai tissé des liens très forts. Quelques années après que ma grand-mère m’a transmis son amour pour Barbara, des amis musiciens me présentaient Roland Romanelli, accordéoniste de la « Dame en noir », amant de 20 ans et même parolier de « Vienne ». Le courant est passé de suite et il m’a proposé d’interpréter avec lui « À chaque fois » et « Gare de Lyon » à l’occasion du festival Chalabre en Sérénade, qui était capté par les caméras de France 3. C’était vraiment incroyable pour moi ; on a échangé, on a joué ensemble, c’était beau. C’est aussi lors de ce festival que j’ai rencontré Mike Clinton, bassiste de grand talent, notamment avec Matthieu Chedid, que je devais revoir à Paris.

Y a-t-il eu d’autres rencontres qui t’ont marquée ?
J’assistais, au studio « Ma Ferme » de Sérignan, à une master class de Martha High, qui a fait carrière au côté du légendaire James Brown en tant que choriste. Plusieurs chanteurs et chanteuses, l’une après l’autre, ont interprété le même morceau, et Martha leur faisait un retour sur leur prestation. Je ne connaissais pas la chanson mais j’ai eu le temps de la mémoriser. Je me suis donc lancée moi aussi, mais je l’ai chantée différemment. Ne connaissant pas l’originale, je l’ai de fait arrangée à ma façon. À la fin de ma performance, j’ai vu que le visage de Martha était illuminé. Elle m’a lancé : « Woaw, you made it swing ! » (NDLR : « tu l’as fait swinguer ! »). Elle avait adoré ! Elle m’a même invitée à chanter avec elle lors d’une autre master class. Depuis, on est restées en contact.

Et puis vint le grand départ.
J’ai dû quitter Béziers, je devais m’émanciper de ma situation familiale qui était étouffante à ce moment-là. Aussi, la vie parisienne m’attirait bien sûr. Je suis partie un peu du jour au lendemain, j’ai trouvé un petit boulot, un petit appart’. Tous mes maux n’ont pas disparu mais je me sens bien à Paris. Et ce sont toutes ces belles rencontres qui me maintiennent en vie. Dans le bar de mon quartier, j’ai fait la connaissance de Sam, la chanteuse de Shaka Ponk, qui avait perdu son chat. On l’a cherché ensemble. Depuis, on est potes. Elle côtoie le batteur de Motorhead, elle lui a fait écou- ter une de mes démos. Il aurait été ému aux larmes… (rire gêné).
Enfin, j’ai revu Mike Clinton qui m’a présenté à Yann Negrit. Ce dernier organise entre autres les « jams » au Louloute Club, repère d’artistes jazz, soul, funk… Après m’avoir entendue, il m’a proposé d’enregistrer mon premier disque et il me mettra à l’honneur lors de la soirée « jam » du 13 septembre au cours de laquelle je serai accompagnée par de supers musiciens, dont Mike à la basse. J’aurai le plaisir de chanter une composition ainsi qu’une dizaine de standards que je revisite sur des rythmiques country, jazz, reggae. Pour le chant, je m’inspire d’Aretha Franklin et d’Ella Fitzgerald. Tous ces gens ont de grandes histoires personnelles, une sensibilité dans laquelle je me reconnais. Ils ont tous apporté leur pierre à l’édifice.

Laisser un commentaire