Pierre Marquès, Pierrot le fou
Photo : P. Marquès

Pierre Marquès, Pierrot le fou

Pierre Marquès est un artiste autodidacte aux multiples facettes : peintre, dessinateur, poète, street artist, photographe… il a tous les talents et en use sans modération. Depuis quelques années, de rue en rue, de galerie en galerie, d’exposition en exposition, il partage sa vie entre le Biterrois et Barcelone. Retour sur les tribulations d’un Nissanais en Catalogne.

Vous êtes connu pour vos œuvres réalisées en extérieur, entre fresques et graffitis, mais vous avez d’autres cordes à votre arc. Parlez-nous de votre art et de votre parcours.
Mon intérêt pour le dessin et la peinture se manifeste assez tôt. Souffrant de grosses migraines très jeune, ils me permettront d’avoir un espace, un refuge où je pourrais m’isoler, me tranquilliser. À l’âge de 8 ans, nous participons ma sœur et moi à l’atelier de peinture dirigé par le peintre Anbart – de son vrai nom André Barthès, récemment disparu – à Nissan-lez-Ensérune. Ce fut le début d’une grande découverte qui se transformera avec le temps en une très belle aventure, parfois très cruelle aussi. Après le service militaire, je quitte mon village pour m’installer à Nîmes dans un appartement du centre ville qui deviendra mon atelier. Je commence à exposer, puis à vendre. Autodidacte forcé, je rencontre des peintres, des compagnons du devoir et autres marchands d’art et mécènes qui me conseillent et me soutiennent. Les expositions s’enchaînent et un retour dans le Biterrois s’impose avant de rejoindre Barcelone à la fin des années 90. Je suspends mon activité picturale pour me consacrer à la réflexion et au travail plus conceptuel de mon œuvre.

C’est donc à Barcelone que votre carrière bascule ?
Les rencontres dans le milieu artistique et littéraire barcelonais vont m’introduire dans le circuit pour développer de nouveaux projets et partager des voyages qui s’avèreront très productifs. C’est à ce moment-là que mon travail sur la mémoire surgit. J’accompagne Mathias Enard, prix Goncourt 2015, lors d’un voyage dans les camps d’extermination nazis de l’Aktion Reinhard. Le fruit de ce voyage donnera lieu à une série de peintures de grand et moyen format intitulée « Laissons parler les absents », qui sera exposée entre autres au Centre d’art Contemporain Santa Mònica de Barcelone et dans un format beaucoup plus modeste à la Galerie S. Julien à Béziers. Mon travail sur la mémoire prend une dimension plus contemporaine quand je décide de travailler autour de la figure de Jean Moulin dans la rue. Le graffiti fait aujourd’hui partie de mon œuvre mais je ne me considère pas comme street artist, j’utilise simplement ce médium, le pochoir, pour faire passer un message essentiel à mes yeux et à notre existence. Ce qui m’intéresse dans le street art c’est sa visibilité, c’est-à-dire quand l’art se déplace vers le passant et pas le contraire, de pouvoir mettre à disposition une réflexion sans rentrer dans un musée ou une galerie. La diversité des techniques que j’utilise me permet de passer d’un monde esthétique à un autre sans aucune restriction. Cela me permet d’explorer à l’aide de technique différente l’essentiel de mes préoccupations à la fois conceptuelles, thématiques et esthétiques, en relation avec la grande question : Que peut la peinture au XXIe siècle ?

“Aujourd’hui plus que jamais, il est nécessaire de combattre les injustices et la croissance de l’idéologie populiste et extrémiste”

Sept ans après, que reste-t-il de votre message « Créer c’est résister » avec la figure de Jean Moulin que l’on a pu voir sur les murs du Biterrois ?
Il n’en reste pas grand chose matériellement parlant, mais je m’efforce chaque fois que je le peux de laisser cette trace sur les murs. Mais si vous me posez la question c’est que le message est passé et a été enregistré. Il reste encore beaucoup à faire car je me suis aperçu que le public était demandeur, ainsi que des entités de différents mondes comme l’éducation ou des collectifs de sphères diverses, ce qui me remplit d’espoir. Aujourd’hui plus que jamais, il est nécessaire de combattre les injustices et la croissance de l’idéologie populiste et extrémiste. Le but était au départ de faire passer ce message, inspiré à la fois du Conseil National de la Résistance, mais aussi du « Mouvement des Indignés » de Madrid et du « 15M » de Barcelone. Un message qui doit être transmis aux nouvelles générations, selon Stéphane Hessel. C’est ce que je continue à faire.

Vous êtes de Nissan, mais vous avez une reconnaissance bien au-delà de notre région, pourtant vous y intervenez encore très souvent. Qu’est-ce qui motive ce choix ?
Nissan est avant tout mon village d’origine, là où tout a commencé. C’est aussi mon terrain de jeu, si je puis dire. J’aime à dire que je fais à Nissan du « street art rural », parce qu’évidemment vous trouverez plus de graffitis dans l’espace urbain que dans l’espace rural. Les villages ont une chose que les villes n’ont pas, comme l’authenticité d’une rue, d’un portail ou d’un volet de fenêtre d’une maison abandonnée. Ces éléments chargés de mémoire. Cette poésie- là, vous ne la trouverez que dans ce village (ndlr : il sourit), mais aussi dans les villages environnants.

Vous partagez votre vie entre Barcelone et le Biterrois, qu’est-ce qui les différencie en terme de vie culturelle et d’épanouissement artistique ?
Ne comparons pas ce qui n’est pas comparable. Barcelone est une ville cosmopolite, ce qui lui donne une richesse culturelle incomparable. Béziers, avec ses 77000 habitants, ne peut pas avoir la même offre culturelle que Barcelone et ses 1 600 000 habitants plus les 4 millions extramuros. La vie culturelle des Barcelonais se forge aussi au quotidien. C’est un avantage de pouvoir à n’importe quel moment de la journée aller boire un coup dans un bar à tapas, manger au Karakala ou contempler un œuvre de Picasso, Gaudí, Tàpies, Casas, Fortuny et bien d’autres. Aller voir une pièce de théâtre dans plus de 50 théâtres, se rendre dans plus de 100 musées, 181 galeries d’art, 130 bibliothèques… Aller au Grand Théâtre du Liceu voir un opéra ou écouter de la musique électronique ou baroque dans des lieux spécialisés. Rien de mieux pour l’épanouissement culturel et artistique.
Politiquement parlant, Béziers et Barcelone sont aux antipodes. La politique culturelle de Barcelone se base en partie sur des valeurs de diversité, d’égalité et de durabilité en utilisant ses outils pour la formation et l’éducation. Ce n’est pas le cas à Béziers. Béziers a perdu ses valeurs humanistes et tourne le dos à notre culture méditerranéenne. Et puis, disons-le clairement, Barcelone est aujourd’hui dirigée par une municipalité progressiste, féministe et républicaine, contrairement à Béziers qui s’enlise dans un populisme stérile dénué de sens. C’est très regrettable car je pense que les municipalités ont vraiment les moyens de créer des projets constructifs même s’ils ne sont pas avant-gardistes – s’ils le sont tant mieux –, mais toujours avec ce souci d’informer, de former et de partager. La transmission et l’échange sont des valeurs incontournables quand on parle culture et les acteurs culturels doivent y être présentés et sollicités.

Des projets à venir ?
Je n’ai pas l’habitude de parler de mes projets à venir car bien des fois ils n’arrivent pas à bon port. Mais nous avons pris beaucoup de retard avec la crise sanitaire. Il faut déjà rattraper tout ce temps perdu. et je vous promets d’être présent sur vos murs en extérieur ou en intérieur. Mais oui, je travaille sur plusieurs projets.

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Photo : P. Marquès

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