L’oeil de l’expert

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Elections : analyse du vote en Biterrois

Depuis de longues années, le vote d’extrême droite s’est installé dans l’Ouest de l’Hérault. L’observation des résultats de l’élection présidentielle que nous venons de vivre montre que malgré tout, cet enracinement de l’extrême droite n’est pas homogène. Le premier tour de l’élection, au cours duquel toutes les sensibilités peuvent s’exprimer, est particulièrement riche d’enseignements. Pour l’analyser, nous distinguons trois forces en présence : le bloc d’extrême droite incarné par le duo Le Pen-Zemmour, un bloc de gauche regroupant les résultats de Mélenchon, Jadot, Roussel et Hidalgo, et un bloc de droite républicaine cristallisé autour du duo Macron-Pécresse.

Sur la ville de Béziers, au premier tour, les forces d’extrême droite obtiennent 13504 voix (41,69% des suffrages), quasiment le même score que ceux obtenus en 2014 et 2020 par Robert Ménard. On peut en déduire non pas une progression de l’extrême droite, mais une stabilité et une mobilisation constante de cet électorat sur la ville. Ce qui n’a pas été assez souligné en revanche, c’est que contre toute attente la principale force qui rivalise face à ce bloc réactionnaire, c’est la gauche. Jean-Luc Mélenchon fait un score de 22,74%, en progression de près de 367 voix par rapport à 2017. Si on y agrège les voix de Jadot, d’Hidalgo et de Roussel, la gauche cumule 9346 voix. À droite, la Macronie et Les Ré- publicains menés par Pécresse sont largement distancés et arrivent en troisième position. Finalement, on retrouve la tripartition politique de la ville en place en 2014, avec plutôt à l’occasion de cette élection une progression de la gauche.

La situation est différente dans les villages du Biterrois. Ainsi, à Abeilhan, le bloc d’extrême droite atteint 51,05% des suffrages dès le premier tour, comme à Lieuran-les-Béziers ou à Thézan-les-Béziers où la barre des 50% est franchie, voire allègrement dépassée comme à Valras-Plage où l’on frôle les 52 %. Plus largement, ce bloc d’extrême droite arrive en tête dans toutes les communes du grand Béziers. Il faut s’éloigner vers le Nord et l’Ouest du Biterrois pour rencontrer des résultats qui attestent de la persistance d’un vote progressiste. Saint- Pons-de-Thomières, Roquebrun, placent ainsi LFI en tête ; Pézenas fait également figure d’exception remarquable en plaçant le tribun insoumis près de quatre points devant Le Pen. Le bloc de gauche fait ici plutôt jeu égal avec le bloc de droite classique avec un candidat-président qui arrive dans la plupart des cas en deuxième position dans ces villages, -hormis dans des bastions comme Capestang-, mais cependant largement distancé par Le Pen. Et même en lui ajoutant vote des Ré- publicains, le bloc de droite reste faible, sou- vent dépassé par une gauche virtuellement unie. Pour autant, le fait marquant est qu’une bonne moitié des électeurs de ces villages dortoirs a fait le choix dès le premier tour de l’extrême droite dans sa version prétendument aseptisée (les chatons) ou hystérisée (le Z).

A cette aune, il ne faut pas voir Robert Ménard et son épouse, maire et députée, comme la cause du basculement local en faveur de l’extrême droite mais comme la manifestation symptomatique du processus d’extrême-droitisation qui touche le littoral et l’Ouest de l’Hérault. La question lancinante qui vient à l’esprit consiste à savoir sur quoi repose ce choix. Les taux dépassant les 60% pour Marine Le Pen et l’augmentation significative de son score dans la plupart des communes du Biterrois au second tour son à replacer dans le contexte d’un rejet pour ne pas dire d’une détestation du président sortant. C’est le vote d’adhésion du premier tour qu’il faut essayer expliquer. La thèse de la France périphérique, reprise jusqu’à la nausée est-elle valable en Biterrois ? En effet, si elle subit la métropolisation et un retard économique, la métropole biterroise ne manque pas de service de proximité. Les villages qui voient leur population, ainsi que le prix du foncier exploser ne sont pas en reste, construisant qui une école flambant neuve, qui une salle de spectacle.
L’agglomération s’est ainsi permis le luxe de se doter de deux piscines à Servian et Sauvian tout en rénovant le complexe biterrois… Par conséquent les ressorts du vote d’extrême droite sont à chercher ailleurs. Même euphémisée dans les discours, la question de l’immigration, et la xénophobie et le racisme que cela induit, restent au centre de ce choix électoral. Un grand Ouest biterrois plus âgé, centré sur une classe moyenne inférieure craignant le déclassement social explique probablement ce comportement électoral.

SCHIZOPHRÉNIE ÉLECTORALE, LE « EN MÊME TEMPS » DES SUFFRAGES BITERROIS

Les habitants du grand Béziers sont-ils frappés de schizophrénie électorale ? Prenez Cazouls-les-Béziers, la ville est dirigée par un maire socialiste, vice-président du Conseil départemental, élu dès le premier tour sur le score écrasant de 85% en 2020. Deux ans plus tard, le même corps électoral s’exprime à 66% en faveur de Marine Le Pen, dépassant de près de 300 voix le score du maire en 2020.
Même situation à Sauvian où le maire a obtenu 81% des suffrages (1991 voix) en 2020 alors que deux ans plus tard ses électeurs se sont massivement exprimés pour l’extrême droite au second tour (66% et 2032 voix). Comment est-il possible d’élire un homme qui s’affiche comme un opposant virulent au maire de Béziers et en même temps voter pour le Rassemblement National que ce même maire de Béziers soutient publiquement.
Il y a là un mystère insondable, qui s’explique peut-être par la dépolitisation du quotidien : à l’échelle municipale, on gère les affaires courantes en passant peut-être par-dessus les divergences idéologiques. Celles-ci, on se les garde pour les alcôves et les cénacles à l’abri des regards du bon peuple qui se contente du pain, des jeux et du colmatage des trous dans la voirie. La prospérité de l’extrême droite n’est-elle ainsi pas le fruit de l’abandon d’un vrai combat idéologique, y compris dans nos communes ?

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