L’œil de l’expert

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La jeunesse, une priorité politique à Béziers ?

Comme tel est le cas pour une majorité des politiques publiques structurantes, du primaire jusqu’aux études supérieures, l’éducation et l’enseignement sont assumés conjointement par l’ensemble de l’organisation administrative. Au nom de l’égalité des chances et de l’unité de la République, l’état garde la main sur les contenus pédagogiques ainsi que sur les personnels, enseignants et administratifs, attachés à chaque niveau scolaire public. En revanche, la construction, la gestion et l’entretien des écoles, collèges, lycées, universités et grandes écoles se répartissent entre les communes, les départements les régions et l’état. à charge pour chacun d’assumer les investissements (construction/réparation) et d’y mettre les moyens humains nécessaires à l’entretien des bâtiments et des équipements annexes (gymnase, cantine, internat, espaces verts…).

Et les intercommunalités dans tout ça ? Eh bien, tout dépend de la nature juridique de celle-ci. Si toutes ont la possibilité de se dire « intéressées » par la politique éducative, certaines – à commencer par les Communautés d’agglomération – ont l’obligation de développer une politique en faveur de l’enseignement supérieur. Mais, toutes n’ont pas, loin s’en faut, la même ambition pour le développement d’une politique qui coûte infiniment plus qu’elle ne rapporte… du moins à première vue. Or, l’enjeu est ici majeur, car du maillage et de la qualité des filières d’enseignement supérieur dépendent la capacité d’un territoire à conserver ses étudiants et son attractivité, auprès des entreprises notamment. Il suffit pour s’en rendre compte de comparer le territoire biterrois aux bassins de vie et d’emploi toulousain et montpelliérain. La richesse et la diversité des parcours supérieurs que nos deux métropoles offrent, attirent chaque année des étudiants par milliers. Cela a permis d’ancrer dans le paysage local des mastodontes économiques à partir desquels des filières majeures à l’échelle nationale et européenne ont pu se structurer, comme cela a été le cas d’Airbus.

N’y a-t-il pas lieu de penser que, pour une ville centre comme Béziers, investir des millions d’euros en matière d’école et de personnels territoriaux (les ATSEM) pour permettre la scolarisation des élèves jusqu’au CM2, pour primordiale qu’elle soit, cette politique manque d’ambition, dès lors qu’elle ne s’inscrit pas dans une stratégie plus globale qui inclut notamment l’enseignement supérieur ? Peut-on imaginer un club de foot ou de rugby recruter des éducateurs, investir de l’argent, mobiliser des équipements publics pour former de jeunes joueurs de 6 à 17 ans et les voir partir jouer ailleurs une fois adultes parce que le club où ils ont été formés ne possède pas d’équipe senior ? C’est sensiblement le même phénomène que l’on retrouve à Béziers pour les études supérieures. Ainsi, depuis des décennies, Béziers voit chaque année des centaines de lycéens partir à Montpellier, Toulouse ou ailleurs, faute pour notre agglomération de leur proposer un cursus supérieur attrayant. On pourrait toujours objecter que « pour la création d’une faculté ou même pour l’ouverture d’une antenne d’une université… c’est l’état et pas la commune, ni même l’agglomération, qui décide ». C’est vrai. Mais, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, la compétition entre territoires est, malheureusement, la règle. Aussi, pour qu’une ville ou une agglomération tire son épingle du jeu, encore faut-il qu’elle s’en donne les moyens. Encore convient-il d’avoir une vision à plusieurs années tant il est vrai qu’une carte universitaire ne se dessine pas en quelques mois. Elle demande de la part du ministère et de chaque chancellerie* des arbitrages à longue échéance, basés tant sur des anticipations démographiques que sur des analyses de ce que seront les filières professionnelles de demain.

Et si l’agglomération changeait de paradigme ?

Ramené à l’habitant, Béziers est l’une des commune d’Occitanie, et même de France, qui compte le plus de mètres carrés commerciaux de grandes et moyennes surfaces. Malgré ce, la ville et l’agglomération espèrent que l’état et l’établissement chargé de rédiger le prochain SCoT du Biterrois (Schéma de Cohérence Territoriale) les autoriseront à transformer des centaines d’hectares agricoles et naturels en centres commerciaux.

Plutôt que de continuer à paupériser les commerces du centre-ville et à cannibaliser le développement des villages alentours, l’agglo ne pourrait-elle pas réserver certains de ces terrains pour y accueillir un espace universitaire digne de ce nom, quitte à les céder à l’état contre l’euro symbolique ?

Evidemment, renoncer à des espaces à vocation économique qui auraient pu accueillir des entreprises, générer de la fiscalité d’entreprise et permettre la création d’emplois pour les « donner » à l’état en échange d’un véritable campus universitaire nécessite des arbitrages qui – en première lecture – pourraient paraître incohérents tant financièrement que politiquement. Mais à y regarder de plus près, n’est-ce pas au final une forme d’investissement ?

Prenons l’exemple de la Cameron dont le nom rayonne sur le Biterrois depuis plus de 60 ans. En partenariat public/privé avec le CEA de Grenoble et la Région, la Cameron vient de créer la société GENVIA qui vise au développement de l’hydrogène vert. à l’instar de ce que Toulouse a connu avec Airbus, n’y a-t-il pas là une occasion inespérée de lancer dès maintenant, sur le Biterrois, tout un écosystème mixant l’enseignement, la recherche et la production autour d’une énergie verte appelée à se développer ? On parle ici d’une Gigafactory. Mais l’inconvénient d’une telle politique, c’est qu’elle ne rapporte rien médiatiquement car elle dépasse évidemment l’horizon des 6 ans, soit la durée d’un mandat municipal…

Les jeunes et la politique : la f(r)acture électorale.

La jeunesse française, et singulièrement la biterroise pour ce qui nous intéresse, s’éloigne de plus en plus du fait politique. On pourrait considérer que les jeunes ne diffèrent pas du reste de la population dont la défiance à l’égard du personnel politique est indiscutable. Pour autant, il y a bien une spécificité du « vote jeune ». Le premier parti de la jeunesse est l’abstention. Ce qui est vrai au niveau national est accentué en Biterrois par une surreprésentation des personnes âgées, qui, elles, accomplissent avec régularité leur devoir électoral. Il s’ensuit une sorte de cercle vicieux qui aggrave localement la fracture électorale entre la jeunesse et les élus. Ces derniers, issus très largement de la génération du « baby-boom », ne sont pas en phase avec les aspirations d’une jeunesse, qui, en quelques décennies, s’est profondément transformée sous l’effet de la révolution numérique et qui a des codes tout à fait différents des générations précédentes. Qui plus est, conscients d’avoir à conquérir électoralement les plus âgés, les élus mettent en œuvre une communication et des politiques qui ne parlent pas à la jeunesse. Il y a bien ici un enjeu vital, car laisser la jeunesse se distancier encore plus des enjeux civiques c’est se condamner à l’immobilisme, à la sclérose et aux politiques de coups d’éclat à courte vue.