Les raisins de la colère

Les raisins de la colère

Tout le monde connait l’ampleur des révoltes vigneronnes de 1907 et de 1976 accompagnées de leur cortège de drames et de morts, à Narbonne et à Montre- don-des-Corbières. En 2023, la colère qui monte depuis de longs mois est en train de prendre une tournure inquiétante. En effet, à l’heure où nous écrivons ces lignes, une manifestation massive est annoncée à Narbonne le 25 novembre pour réclamer des aides et un soutien que la majorité des viticulteurs trouve insuffisants pour faire face à une série d’événements issus de phénomènes conjoncturels et structurels que nous avons évoqués tout au long de ce dossier.

Certes, des mesures d’urgence ont été prises comme la distillation de 2 millions d’hectolitres dans l’ex Languedoc-Roussillon -jugée insuffisante- ainsi que, sur un temps plus long, la planification de nouvelles campagnes d’arrachage de vignes, mais cela ne règle toujours pas le problème. Le vin continue de s’accumuler dans les cuves, conséquence de la diminution constante des ventes (cf page de droite) alors que la production elle, reste relativement stable ces cinq dernières années si l’on ne tient pas compte de 2021 dont la récolte a été plombée par la gelée noire (cf graphique p. 6).

Forcément, qui dit offre supérieure à la demande, dit chute des cours. Et c’est bien là que le bât blesse : les exploitants ne parviennent plus à se faire payer correctement le fruit de leur labeur par des négociants et une grande distribution inflexibles et se retrouvent, comme en 1907, à avoir tant de bon vin mais à ne plus pouvoir manger de pain.

Le pire dans tout cela, c’est que certains manquent de vin et doivent en acheter ailleurs pour honorer leurs carnets de commandes (cf page précédente) !!! Il semblerait donc que, comme dans les années 70, le monde se divise en deux catégories : ceux qui se sont adaptés, qui ont anticipé la mutation qui s’annonçait en travaillant la vigne autrement, en communiquant autrement, en commercialisant autrement, et les autres. Oui, mais voilà, tout le monde n’a pas la possibilité technique, logistique ou financière de se renouveler en profondeur dans un laps de temps aussi court. Alors, il y a ceux qui, épuisés moralement comme physiquement, baissent les bras et laissent tout tomber et ceux qui s’accrochent encore et toujours mais, qui, poussés par l’énergie du désespoir, risquent fort de laisser éclater sous peu un Midi rouge de colère.

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