Légitime, la réforme macroniste ?

Légitime, la réforme macroniste ?

Le gouvernement d’Elisatbeth Borne et le président Emmanuel Macron sont-ils légitimes pour imposer la modification du système de retraite qu’ils proposent ? La question mérite d’être posée et discutée car lorsque le projet a été mis sur la table de nombreux députés et ministres estampillés Renaissance ont usé d’un argument d’autorité : les élections de 2022 rendent les décisions prises tout à fait légitimes. Traduisez : nous avons été élus pour appliquer notre programme et nous le faisons. Qu’est-ce à dire ? Qu’il fallait voter pour l’extrême droite pour ne pas avoir à subir le néo-libéralisme échevelé des start-uppers de la politique ? Que les Français de gauche à qui l’on a une nouvelle fois, la troisième, demandé de sauver la République, doivent accepter de se faire cracher au visage et marcher dessus par un pouvoir de plus en plus droitisé qui trouve que Marine le Pen est plus républicaine qu’eux, voire même trop molle ? Il ne faudrait pas oublier que sans la gauche, toute la gauche, l’actuel président n’aurait jamais pu battre sa rivale frontiste. Cet argument de la légitimité élective serait risible si nous, Français, avions la mémoire courte. En effet, on nous assène que le président avait posé cette réforme de façon centrale dans son programme et qu’en votant pour lui les Français l’ont, de fait, validée. Ce serait oublier les déclarations du candidat paraphrasant sans vergogne le slogan du NPA à Marseille, « nos vies valent mieux que leurs profits », pour ra- tisser large, tout en affirmant que ces votes « l’obligeaient ». Racoler le chaland en mai pour l’assommer en janvier…

Pourtant, il y aurait eu une martingale pour légitimer ces mesures : obtenir une majorité claire à l’assemblée. Or, là encore, la légitimité du gouvernement est littéralement éparpillée façon puzzle. Macron a vu son obsession pour entrer dans les livres d’histoire satisfaite quand, pour la première fois dans la Vème République, les partis soutenant le président fraîchement élu furent battus aux législatives. Les journalistes de commentaire et de cour ont comparé cette bérézina à 1988 mais comparaison n’est pas raison car il ne manquait quelques sièges aux socialistes mitterrandiens quand ce sont plusieurs dizaines qui font défaut à Macron. Mieux encore, l’extrême droite est entrée avec fracas dans une assemblée fracturée en quatre forces politiques minoritaires ; une assemblée mal élue qui plus est, avec près d’un électeur sur deux qui ne s’est pas dé- placé. Cela est-il un facteur de légitimité ?

N’y a-t-il pas là la manifestation d’une grève démocratique qui interroge aussi sur la légitimité de la Vème République caractérisée par un exécutif fort ? Emmanuel Macron a même réussi le prodige de ressusciter la IVème République avec le système électoral et parlementaire le plus présidentialiste d’Europe. Un tel désaveu aurait conduit à une remise en question dans n’importe quelle démocratie moderne, en Allemagne par exemple, que l’on prend si souvent comme modèle pour imposer des reculs sociaux mais jamais en ce qui concerne des avancées démocratiques.

D’ailleurs, les mêmes députés et ministres qui arguent ad nauseam de leur légitimité électorale esquivent pourtant le débat et la dispute parlementaire. Après avoir usé de l’article 49.3 à dix reprises, les macronistes ont exhumé un article encore plus irrespectueux des principes fondamentaux du parlementarisme avec le 47.1 qui limite le temps de discussion et permet de légiférer par ordonnance. Voilà qui est étonnant, quand on est aussi sûr de sa légitimité… La Vème République va pourtant fonctionner. La loi sera votée, les procédures et les mécaniques institutionnelles ont été conçues pour surmonter toute tentative de bloquage parlementaire. De ce fait, cette loi ne sera perçue que comme une violation de l’éthique démocratique. La question qui se pose est donc de savoir si un pouvoir issu de circonstances exceptionnelles et sans assise populaire peut gouverner contre la volonté générale. Car, de sondages écrasants en manifestations monstres, la légitimité s’est placée du côté de la contestation. Ne pas le voir, ne pas en tenir compte serait absolument dévastateur, tant sur le plan de la radicalisation du mouvement social que sur celui de la radicalisation électorale.

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