Le désastre humanitaire
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Le désastre humanitaire

Aleksandra Makoviy, artiste peintre, réfugiée ukrainienne

Depuis le début du conflit, des centaines de milliers d’Ukrainiens, jetés sur les routes, ont fui leur pays dans un exode massif qui rappelle celui des Français en 1940.

Aleksandra, au tout début de la guerre une photo de votre fille, Vira, a circulé sur les réseaux sociaux avec l’ensemble de vos coordonnées. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Dès les premiers jours de la guerre, nous avons fui Kiev. Le bruit des bombes était incessant. Nous ne savions pas quoi faire. Quand l’invasion a commencé, le gouvernement a distribué des cartes d’identification à la population, mais rien pour les enfants. Nous étions terrifiés.

C’est un appel que vous avez lancé aux autres mères ?
Oui. Par peur que Vira ne se retrouve seule, j’ai écrit mon nom et celui de Vitaly sur son dos, ainsi que nos coordonnées téléphoniques. Nous avions peur d’être séparés ou pire, d’être tués. Je l’ai écrit dans son dos parce que je tremblais tellement que je n’arrivais pas à le faire sur ses bras. Puis, j’ai pris la photo et je l’ai partagée sur les réseaux sociaux en disant à toutes les mères de faire pareil parce que nous entendions dire que des enfants étaient enlevés et envoyés dans des familles russes.

Vous faîtes donc cette photo et vous quittez tout précipitamment ?
C’est ça. Mon mari est sculpteur, il fait aussi des enseignes uniques pour des magasins, et moi je suis peintre. Nous avons exposé dans de nombreux pays, mais à cause des bombardements, de la peur de l’envahisseur, nous avons tout abandonné. Nous avions deux petits appartements. Nous vivions bien.

Vous aviez envisagé que les Russes se lancent à l’assaut de l’Ukraine ? Honnêtement, non. Nous en avions peur, mais rien ne se passait. Il n’y avait rien eu depuis 2014, même s’il y avait toujours des combats dans l’Est vers le Donbass. Mais nous avions confiance. On nous disait que nous ne risquions rien. Nous y croyions parce que les autorités rassuraient la population.

Comment s’est déroulé ce périple vers l’exil ?
Nous sommes partis dans le sud-ouest, puis vers la Roumanie en passant par la Moldavie où nous nous sommes reposés quelques jours avant de traverser la Pologne jusqu’en France. Ce qui comptait avant tout, c’était de vivre. Nous avons mis 20 heures pour faire les 11 derniers kilomètres à pied avant la frontière avec la Moldavie car nous avons été obligés d’abandonner notre voiture, une toute petite citadine. Quand nous avons fui, nous étions cinq dedans, avec Vira. Nous n’avions que des affaires pour elle. Tout le reste est resté chez nous. Nous n’avions pris que nos papiers. En tout, nous aurons mis un mois pour traverser l’Europe.

Pourquoi être venus en France et pas ailleurs ?
Mon mari avait fait des séjours linguistiques en France, pas très loin de Maubeuge. Nous avons appelé la famille qui l’avait reçu à l’époque. Sans hésiter une seconde, ils nous ont dit de venir tout de suite. Mais très vite, nous avons compris que ce couple ne pourrait pas nous garder longtemps. Ils étaient âgés et nous ne voulions pas les déranger. C’était fatiguant pour eux de recevoir autant de monde d’un coup aussi longtemps.

Comment avez vous rejoint Lespignan ?
Nous étions toujours en contact avec des personnes qui s’occupaient de conduire les réfugiés vers d’autres pays et on nous a mis en contact avec l’association des commerçants de Lespignan. Dès qu’ils ont appris notre situation, ils sont venus nous chercher. Tout s’est fait en quelques jours. Nous avons été totalement pris en charge.

Pour autant toute la famille n’était pas réunie ?
Non, et elle ne l’est toujours pas. Ma mère, la grand-mère de Vira, nous a rejoint quelques jours plus tard. Elle vivait juste à côté de la base aérienne des Antonov. Ces avions étaient notre fierté nationale ; il y avait là le plus gros avion du monde qui servait énormément pour soutenir les efforts de livraison dans de très nombreux conflits. C’était une référence en terme d’humanitaire. Les Russes ont tout détruit, les avions et la base. Pour se protéger des bombes qui pourraient frapper, ma mère dormait dans sa baignoire. Vitaly, mon mari, a pu venir ; il est soutien de famille car sa sœur est handicapée. Quant à son père, il a préféré s’occuper de sa propre mère très âgée qui n’a pas voulu quitter l’Ukraine.

Comment s’est passé votre arrivée à Lespignan ?
Quand nous sommes arrivés à Lespignan, nous étions un peu perdus. Mais il y a tellement de chaleur et de cœur ici que nous ne pouvions que nous sentir bien. Même si nous sommes plus apaisés depuis notre arrivée, nous n’oublions pas ceux qui sont restés au pays.

Vous êtes accueillis gracieusement, mais déjà votre mari travaille.
Oui, quelques jours après son arrivée à Lespignan, Vitaly a trouvé du travail. Rien à voir avec la sculpture ou la fabrication d’enseignes, il travaille dans le BTP et casse des murs. Nous tenons à payer un loyer, ce sera notre fierté. Une façon aussi de dire merci à tous ceux qui nous ont ouvert leurs bras. Vitaly est même retourné en Ukraine récupérer notre voiture. Elle n’avait pas quitté la place où nous l’avions laissé. Elle nous sert au quotidien et surtout à Vitaly pour aller travailler.

Il s’occupe aussi en allant aider l’association des commerçants.
Oui, comment faire autrement ? C’est grâce à tous ces gens-là si nous sommes ici. Il est important pour nous d’aider ceux qui nous accueillent.

Depuis votre arrivée, les soldats ukrainiens continuent à se battre vaillamment, faisant subir aux Russes de sérieux revers en détruisant de nombreux chars et navires de guerre. Quelle est votre réaction devant une telle résistance ?
Nous, les petits ukrainiens, avec nos modestes moyens, nous avons fait ça. C’était inimaginable face à l’ogre russe. C’est terrible, parce que derrière ces actes il y a des morts, mais nous avons ressenti une joie immense. Mais avec tout cela, la réconciliation entre nos deux peuples est inimaginable. Poutine veut rayer l’Ukraine de la carte. Il veut tuer son peuple, faire disparaître sa langue. Les Russes ne veulent pas savoir ce qui nous arrive ni les atrocités que nous subissons. Mais nous, les Ukrainiens, nous ne voulons pas revivre les années d’oppression de l’ère soviétique. Nous avons goûté à la liberté et nous ne referons pas le chemin inverse.

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