Interview de Carole Delga

Interview de Carole Delga

Présidente de la Région Occitanie

Entre des métropoles attractives démographiquement et qui captent les activités, les villes moyennes sont à la peine. Comment les collectivités territoriales interviennent-elles pour compenser ces déséquilibres ?

Les métropoles concentrent en effet beaucoup de richesses dans notre pays, trop sans aucun doute. Il est clair pour moi qu’il faut retrouver un juste équilibre et cela ne peut se faire que par un volontarisme fort, ce que j’ai mis en place à la Région. D’abord il faut toujours compter sur ses propres forces : les villes moyennes ont plus d’atouts aujourd’hui qu’hier, dans leur capacité à mettre en place un modèle de société plus juste, plus écologique, plus à taille humaine que souhaitent nos concitoyens. Le rôle de la collectivité est déterminant notamment afin de garantir, par des investissements, des infrastructures indispensables pour la qualité de vie : je pense au très haut débit et bien entendu à la téléphonie mobile, aux zones d’activités, car l’emploi est le premier sujet. Mais aussi à l’enseignement supérieur avec par exemple les campus connectés qu’a mis en place la Région afin de donner une perspective à la jeunesse dans ces territoires. L’autre question centrale concerne les mobilités, car si on ne change pas de braquet sur ce point, le développement sera plus difficile. Je crois également qu’il faut créer ou maintenir des centres de santé importants, de l’urgence à la maternité, investir dans la culture … Ce volontarisme politique doit aussi être combiné au rassemblement de toutes les forces vives, collectivités ou acteurs privés, autour du projet de territoire. Pour renverser cette tendance lourde dans notre pays sur l’hypermétropolotisation, il faut être forts et unis. 

La décentralisation avait pour but de rapprocher la décision du terrain. Or, de nombreux citoyens se sentent éloignés de leurs représentants territoriaux. Comment combler ce fossé démocratique ?

C’est un paradoxe, car c’est depuis les années 80, soit après la grande loi de décentralisation de 1983, que nous vivons une crise démocratique qui ne cesse de s’accentuer avec une rupture claire du citoyen avec la classe politique, qui se traduit par une abstention de plus en plus importante et la hausse des votes extrémistes. Je l’explique en partie par la centralisation aiguë de ce pays – on le voit lors de cette crise sanitaire malgré l’action résolue des élus locaux ; la sacro-sainte élection présidentielle, cette idée qu’un seul homme peut changer le quotidien des gens, mais qui l’emporte sur toute autre élection… Et puis, il faut le reconnaitre, il y a eu des dérives inacceptables, des espoirs déçus, qui ont amené les gens à se désintéresser de la politique. Mais, sur le terrain, que constate-t-on ? Si les gens sont fatigués des discours et des petites phrases répétés à l’envi sur les plateaux télé, ils s’intéressent à ce qui peut faciliter leur vie. Nous avons, en cinq ans, mené plusieurs concertations citoyennes d’envergure à la région : choix du nom de la Région, États généraux du rail, consultation sur l’alimentation, budgets participatifs pour le climat, la mer, la montagne etc. On a créé du lien direct avec les gens et les associations, et cela nous a permis de mettre en place des actions adaptées à chaque situation. J’ajoute le rôle des maisons de région dans chaque département. Ce lien se fait par la proximité, et c’est la proximité qui amène de la confiance. Cette confiance a retrouver, c’est le maître-mot : elle passera par du temps et surtout par l’action, pas par des grandes phrases, mais aussi de l’éthique et de la responsabilité à chaque instant. Et les élus locaux que nous sommes, qui sont à portée d’engueulade, ont un rôle crucial à jouer, et ils le jouent en très grande majorité. 

Quel doit être selon vous le rôle de l’état aujourd’hui dans les politiques d’aménagement du territoire et de rééquilibrage ?

D’abord il faut agir en cohérence et en proximité : la Région est chef de file dans l’aménagement du territoire. Nous avons ainsi bâti 56 contrats territoriaux avec les Métropoles, les agglomérations ou bien les Pays ou les Parcs naturels sur des bassins de vie, et plus de 400 « bourgs centres » pour des petites villes ou des « gros villages ». Villes, quartiers, campagne, montagne, littoral, aucun territoire n’a été mis de côté, car ils sont la richesse de l’Occitanie. Ces contrats sont concrets et on agit dans le partenariat. Les territoires ne sont pas, pour moi, des faire-valoir ou des soumis sans conscience. Les projets doivent remonter du local. On fait donc des contrats pluriannuels pour les aider à concrétiser leur stratégie et réaliser leurs projets. Selon moi, l’État doit ici être un partenaire, un accompagnant : il doit jouer un rôle de régulateur, de péréquation financière notamment entre les territoires riches et les territoires pauvres. Comme je dis souvent, on joue tous avec le même maillot, celui de l’équipe de France. Donc chacun à sa place, et jouons collectif, car derrière les chiffres et les statistiques, il y a des vies. 

Le positionnement médiatico-polémique de certains élus locaux peut-il nuire à l’engagement de l’ensemble du millefeuille territorial en faveur de la redynamisation de certains territoires ?

Faire savoir est important, mais le savoir faire est pour moi plus important. C’est vrai, que depuis de trop nombreuses années, on voit des gens s’agiter, faire des phrases, des tweets rageurs et faire le buzz… Ces quelques minutes de gloire médiatique font-ils avancer les dossiers ? Je ne crois pas et ça se voit. Je crois en la France du faire, pas en cette France qui s’affronte souvent chaque jour dans des débats qui dépassent nos concitoyens. Je trouve que l’on veut créer dans notre pays une société d’ennemis sur tous les sujets et que cela permet à certains de s’affranchir de proposer des idées. Le simplisme, le slogan, la polémique, c’est facile. Faire venir une entreprise, monter une filière industrielle, accompagner un territoire sur plusieurs années sur la transition énergétique, relancer un projet ferroviaire, former des gens, entre autres exemples, c’est plus compliqué. Cela demande du travail, une volonté, une capacité à rassembler intangible. Je m’interroge souvent sur ces élus qui préfèrent passer leur temps à Paris sur les plateaux télé… Cela me fait penser à cette phrase de Jean Jaurès : « quand les hommes ne savent pas changer les choses, ils changent les mots ». Les mots, c’est important, mais au final, ce n’est pas ce qui donne du boulot aux gens ou un avenir à leurs enfants.