Anne-Laure et Sébastien Borras-Gauch, Le Nouveau Monde
Photo : Le Nouveau Monde

Anne-Laure et Sébastien Borras-Gauch, Le Nouveau Monde

La saison 2022 a été faste pour le domaine Le Nouveau Monde dont le vignoble est planté face au Canigou, au-dessus de l’étang de Vendres. En effet, Anne-Laure et Sébastien Borras-Gauch ont été élus vignerons de l’année par le guide Hachette des vins 2022. Le couple perpétue ainsi cette « tradition » de récompenses dans les guides les plus réputés initiée avec les parents d’Anne-Laure. Une récompense d’autant plus méritée que le domaine s’est converti au bio en 2017 et obtient le label « AB » en 2020 avec l’envie de faire plus propre dans une nature que le couple admire et protège depuis des années. Alors, même si le domaine est touché partiellement par le phénomène de salinisation des sols qui a entraîné la perte irrémédiable de plusieurs hectares de vignoble, le couple ne boude pas sa joie.

Anne-Laure, un mot sur le guide Hachette et cette belle récompense qui met en avant votre travail au quotidien.
Nous sommes deux passionnés de vins et nous ne cessons de nous remettre en question. Cette année, le guide souligne pour l’Estanquier, un vin intense dont la bouche, tonique et fraîche demande à s’assouplir encore quelque années.

Votre époux dit de vous que vous êtes une éternelle insatisfaite. Est-ce vrai ?
C’est exact, je ne suis jamais contente des assemblages effectués. Je veux sans cesse le meilleur. Je doute en permanence.

Un doute bénéfique semble-t-il.
Je le souhaite. Je veux que notre vin plaise aux amateurs de bons crus et aussi et surtout à notre région, à notre terroir qui fait connaître des vignobles de qualité et parfois méconnus.

Quoi qu’il en soit, ces prix qui se succèdent depuis des années ne sont pas le fruit du hasard.
Non, certainement que l’on reconnaît notre travail. Cela fait 20 ans que nous œuvrons dans nos vignes. C’est un labeur acharné au quotidien qui nous a conduit à faire des choix et à arracher certains cépages pour en planter d’autres. On a échangé le Cabernet contre du Syrah et du grenache, tout en conservant un peu de Merlot.

“C’est un vrai jeu d’équilibriste d’assembler des cépages qui feront de grands crus”

En attendant vous avez hissé Le Nouveau Monde parmi les pépites du Languedoc Roussillon. Les pépites ça se partage ?
J’aime en effet beaucoup le partage surtout avec les autres autour de bons plats. Les vins c’est fait pour accompagner des mets, les re- lever et tout ça on se doit de le partager.

Les vendanges sont tout juste terminées, place maintenant aux assemblages ?
C’est tous les ans le même rituel. Tous les ans la même inquiétude. C’est un vrai jeu d’équilibriste pour assembler des cépages qui feront de grands crus. L’important, quelle que soit la saison qui est passée, dans la sécheresse ou dans la tourmente, c’est de ne pas rater l’opportunité de réaliser un grand vin. On a une petite idée de ce que l’on veut parce qu’on a déjà goûté les jus. Il reste à réaliser un bel assemblage. Je ne dirais pas parfait parce qu’on ne peut pas l’être, mais qui doit s’approcher de la perfection tant recherchée.

Mais toutes ces récompenses sont quelque peu ternies par la perte de plusieurs hectares de vignes. Quelle en est la raison ?
La salinité des sols est trop importante car nous manquons d’eau. Et encore, cette année il a beaucoup plu en hiver sur ce secteur alors il y a eu de l’eau dans l’étang jusqu’au mois de juin pour empêcher le sel d’agir. Sinon, nous ne pouvons que prendre en compte la sécheresse parce qu’il y a bien trop de monde qui puise dans la nappe phréatique et le résultat se fait immédiatement sentir dans nos vignes. Le sel remonte et ronge les pieds. L’an dernier, quand les feuilles ont commencé à tomber, j’ai vu les grains réduits comme jamais. J’ai demandé à un ouvrier de tout mettre par terre. Ce n’était pas la peine d’assister à ce spectacle.

Vous ne pouvez plus irriguer ?
Non, ce n’est pas une solution. Le sol est trop perméable, le niveau de l’eau baisse très vite et la plante n’a pas le temps de l’absorber. Et puis, nous n’avons pas non plus la ressource en eau nécessaire. En plus, c’est la nappe dans laquelle nous puisons l’eau qui se sale. C’est un cercle vicieux. Finalement nous n’avons plus que de l’eau saumâtre sur notre secteur. Irriguer ne fera que ralentir un phénomène inexorable.

Et en plantant des cépages plus résistants ?
Nous avons essayé, mais rien n’y fait. Ici, nous avons planté des porte-greffes résistants. Ils ont un système racinaire qui s’étale au lieu de s’enfoncer dans le sol pour aller chercher l’eau. Mais cela ne marche pas parce que le sel remonte par capillarité et nous n’avons plus assez d’eau douce pour repousser l’eau salée. C’est un combat qui est perdu d’avance.

Photo : Le Nouveau Monde

Que comptez-vous faire alors ?
Dans un premier temps, ne plus planter de vignes dans ce secteur où il nous reste encore sept hectares puis, c’est un crève-coeur, nous ne pourrons que regarder ces pieds se dessécher et mourir. Nous avions vingt hectares auparavant mais le sel est passé par là. Ce n’est plus qu’une question de temps pour que cela soit terminé.

Vous êtes condamnés à anticiper la disparition de ces plantations ?
Oui, c’est ce que nous faisons déjà. Nous allons planter sur le plateau de Vendres qui est un magnifique terroir. Mais il va nous falloir attendre quatre ans avant de pouvoir produire autant que ce que nous récoltions sur le secteur actuel. C’est d’une tristesse absolue car les paysans transmettent les terres à leurs descendants pour continuer à les faire vivre, pas pour les laisser mourir parce qu’elles sont devenues incultes.

Le ralentissement du phénomène est donc lié à de simples chutes d’eau ?
Il nous faut au minimum 400 mm d’eau sur ce secteur. Il y a moins de dix ans, nous en recevions 600 mm et cela allait encore. Ici, les petites pluies ne servent à rien. Il nous faut d’importantes chutes d’eau qui vont pénétrer le sol en profondeur et remplir l’étang très vite. S’il se remplit et qu’il tient jusqu’en juin, la salinisation des sols se réduit. Sinon, les pieds meurent. C’est tout simple.

Site : www.nouveaumonde.com

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