Albert Dupontel, l’électron libre
Photo C. Brachet

Albert Dupontel, l’électron libre

Si encore une fois Albert Dupontel nous aura fait passer un bon moment au cinéma, Second tour ne sera sans doute pas notre préféré de sa filmographie. Néanmoins, cette fable politique interpelle et, à travers un drame familial dans la pure tradition de son œuvre (enfance traumatisante, quête d’identité, personnages délirants, situations ab- surdes), elle évoque les côtés les plus sombres du grand cirque politique français.
À l’occasion de la sortie de son huitième long métrage, le réalisateur-acteur de 59 ans est en ce moment en tournée promotionnelle. Pas sûr que le personnage adore l’exercice. Vif, désinvolte, pince-sans-rire, lors de la discussion d’après projection, les réponses ont fusé avec un débit de parole proche de celui d’Eminem. Il a même quitté la salle en courant ! Expéditif mais pas avare de mots. Florilège.

Pourquoi et pour qui faites-vous vos films ?
Il y a un grand cinéaste politique que je vénère, c’est Ken Loach. Il dit qu’il fait du cinéma pour provoquer l’indignation des gens, moi j’utilise l’indignation qu’ils ont déjà en eux pour les distraire. Bon, des deux intentions il y en a une plus « petit-bourgeois » que l’autre, je vous laisse deviner laquelle.

Est-ce le rôle d’un cinéaste ou plus largement du monde de la culture de dénon cer cette indignation ?
Oui, même si cela ne changera rien. Chaplin a fait Le Dictateur et il n’a pas empêché la seconde guerre mondiale. Nous sommes des messagers, et même si le plus souvent nous apportons des mauvaises nouvelles, il ne faut pas tuer le messager.

Quand il a vu Bernie, mon père m’a même dit : « Qu’est-ce que je t’ai fait ? » 

Depuis votre premier film Bernie, l’enfance tient une place importante dans votre œuvre.
C’est un sujet qui m’a toujours intéressé, je trouve que le monde adulte dénigre l’enfance, que la société ne nous aide pas à accéder à nous-mêmes, que ce soit l’école, que ce soit la pub, tout ce monde consumériste dans lequel on vit, tout ça est fait pour nous éloigner de nous-mêmes. Quand il a vu Bernie, mon père m’a même dit : « Qu’est-ce que je t’ai fait ? » L’enfance est la période de notre vie où l’on n’a pas peur d’assumer qui on est. Je suis convaincu que c’est très important et qu’il ne faut pas oublier ça. C’est vrai que c’est un sujet qui m’a toujours obsédé. S’il peut n’y avoir que des questions aussi pertinentes que celle là (il chantonne)… Pas de question bête, pas de question bête !

Quel message aimeriez-vous faire passer à la jeunesse ?
Un philosophe indien, Jiddu Krishnamurti, dit des choses très belles, notamment qu’il faut « contester intérieurement et pacifiquement toute forme d’autorité » qu’elle soit parentale, pédagogique, institutionnelle. Mais pacifiquement. Il n’est pas question d’aller tout péter, et malheureusement c’est souvent ce qu’il se passe. Il dit d’ailleurs que cette contestation est le début de l’esprit créatif, et je crois que c’est précisément grâce à la créativité qu’on se sortira des problèmes de notre époque, certainement pas en perpétuant des traditions consuméristes, religieuses ou politiques.

Quel est le véritable objectif de ce film ?
Ne vous méprenez pas, au-delà des thèmes abordés, politique, écologie, liberté d’expression, médias, la volonté de ce film est de vous distraire comme je vous le disais précédemment. C’est une sorte de fable politique finalement.

Photo DR

Second tour s’ouvre sur cette citation de Talleyrand : « Le meilleur moyen de ren- verser un gouvernement, c’est d’en faire partie » ; c’est ce que vous pensez ?

En fait, l’idée du scénario vient de l’histoire de Robert Kennedy et de cette question : s’il n’avait pas présenté son programme, se serait-il fait assassiner ? Au départ, c’est quelqu’un qui vient d’une aile démocrate dure et qui a les codes de la technocratie, la puissance du réseau, mais qui va totalement s’engager dans les droits civiques en 1962 en ayant la volonté de faire tomber « l’État profond » américain qui avait fait tuer son frère. Il voulait vraiment faire changer les choses et il a eu le courage de le dire. Malheureusement, on connait la suite.

Dans Second Tour, l’homme politique que vous incarnez cache au grand public son ambition de grand changement afin d’avoir des chances de se faire élire… 
Dans l’histoire de France, il y a cet épisode où de Gaulle dit « Je vous ai compris ! », ce qui peut avoir un double sens. De Gaulle a surtout compris que l’Algérie ne devait plus être française et pourtant il est élu et soutenu par des gens qui veulent que l’Algérie soit française et qui vont chercher à le tuer. (référence à l’attentat du Petit-Clamart en 1962, ndlr). Donc ce genre de personnage qui n’a pas dit la vérité sachant qu’il ne serait pas soutenu a déjà existé. Peu de temps avant le tournage du film, c’était la campagne présidentielle et un journaliste demandait à Jean-Marc Jancovici, qui tient un discours très lucide sur notre société actuelle et celle qu’on pourrait essayer d’inventer pour demain, pourquoi ne se pré- sentait-il pas ? Et Jancovici a répondu que de toute façon il faudrait qu’il avance masqué et qu’il ne dévoile pas son programme. Et puis, pour faire campagne il faut des soutiens financiers et ces gens qui peuvent investir beaucoup d’argent n’ont aucun intérêt à ce que les choses changent.

Vous êtes plutôt dur avec les politiques.
Ces personnages sont formés pour faire ce qu’ils font, beaucoup sont technocrates ou issus du monde de la finance. Aujourd’hui, c’est la finance qui domine le monde. Et pourtant, même de Gaulle a dit un jour que le capitalisme n’était pas la solution car cela débouchait sur l’aliénation mentale des travailleurs !!!

Et avec la politique ?
Le débat politique tel qu’il est pratiqué, avec ce bi-partisme droite-gauche, je trouve ça infantilisant, je pense que la conscience citoyenne est bien plus élevée que ça. Moi, je suis un mauvais citoyen, je n’ai jamais voté et je ne me retrouve pas dans ces débats juvéniles. Peut-être cela avait-il du sens à l’époque du bloc communiste-capitaliste, mais depuis 30 ans ça n’en a plus. Aujourd’hui, il n’y a plus que ces valeurs consuméristes qui font fondre la planète, mais en effet il serait peut être temps de penser intelligemment. Ce qui n’est pas le cas de mon film hein, c’est une fable, j’assume, donc ne votez pas pour moi ! De toute façon je ne compte pas me présenter…

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