La mission Racine

La mission Racine

Jusqu’à l’instauration des congés payés par le Front Populaire en 1936, le tourisme restait réservé aux classes aisées et ne constituait donc qu’un enjeu économique et politique très limité. Ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale, au beau milieu des Trente Glorieuses, que l’avènement des classes moyennes, l’explosion de la société de consommation et des loisirs et la démocratisation de la voiture vont bouleverser la donne. Dès 1959, l’État, pour retenir les millions de vacanciers en partance pour l’Espagne franquiste et ses stations flambant neuves, va décider d’aménager le littoral du Languedoc et du Roussillon. La Région, qui jusqu’alors dépendait essentiellement de la monoculture de la vigne mais dont les crises à répétition n’ont eu de cesse de fragiliser l’économie du territoire depuis 1907, va bientôt pouvoir profiter d’une nouvelle source de richesse : l’or bleu.

Le 18 juin 1963, le Général de Gaulle en appelle à la DATAR pour lancer la Mission interministérielle pour l’aménagement du littoral du Languedoc-Roussillon qui sera présidée par un haut-fonctionnaire, Pierre Racine. Un PUIR est adopté dès l’année suivante qui permettra de déterminer les unités touristiques à aménager sur près de 200 kilomètres de côte entre pays camarguais et pays catalan, ainsi que les infrastructures à réaliser telles que l’A9 et de nombreuses voies express. Grâce à la création de zones d’aménagement différé, l’État va user de son droit de préemption pour acquérir rapidement et à un coût dérisoire les terrains nécessaires à la construction de sept stations balnéaires majeures sur des zones peu peuplées ou désertes : Port Camargue dans le Gard, la Grande-Motte et Leucate dans l’Aude, Port Barcarès et Saint-Cyprien dans les Pyrénées- Orientales. Par ailleurs, de nombreux villages de manadiers, de pêcheurs, de vignerons ou de sauniers dont le territoire s’étend jusqu’à la mer seront eux aussi urbanisés pour faire le lien entre deux grands ensembles. Ainsi, le Grau d’Agde et la Tamarissière, Vias-Plage, Portiragnes- Plage, Sérignan-Plage, Valras-Plage, Saint-Pierre-la-Mer et Narbonne-Plage assureront une continuité urbanistique entre deux stations nouvelles, le Cap d’Agde et Gruissan. L’opération « Nouvelle Floride » est sur les rails et Gruissan est déjà présenté comme le futur Saint-Tropez de la côte Languedocienne.

Cette révolution urbanistique va contribuer d’un grand plan de modernisation du pays tout en mettant fin à un développement touristique de proximité, relativement désordonné parce que bon enfant et familial, autour du front de mer avec ses cabanons et ses campings sauvages. Une campagne de démoustication massive, l’assèchement des marécages, le creusement des ports, l’ouverture de graus, la modernisation d’infrastructures existantes et la création de nouvelles, la construction de bâtiments à l’architecture novatrice et identifiable comme les « pyramides mexicaines » de la Grande-Motte vont définitivement transformer le visage d’un milieu naturel peu hospitalier. Quant aux populations autochtones, elles vont désormais devoir apprendre à cohabiter durant les mois d’été avec des millions de touristes venus de l’Europe entière.

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