Interview d’Alain Caralp

Interview d’Alain Caralp

Maire de Colombiers, Président de la Communauté de communes La Domitienne

Entre des métropoles attractives démographiquement et qui captent les activités, les villes moyennes sont à la peine. Comment les collectivités territoriales interviennent-elles pour compenser ces déséquilibres ?
Le phénomène de la métropolisation n’est pas nouveau ; ses effets (dé) structurants sont connus. On les retrouve aussi à de plus petites échelles, dans les relations d’équilibre qui se jouent entre villes moyennes et espaces péri-urbains. En fait, tous les territoires sont sous l’effet de métropolisation d’un territoire proche et plus grand. C’est ce que l’on appelle la « centralité » et les logiques de bassin de vie et d’emploi. En d’autres termes, si Béziers et Narbonne souffrent d’être dans le rayon d’influence de Montpellier et de Toulouse, les choses peuvent aussi se ressentir pour les villages et les petites villes comme les nôtres, à la jonction des deux agglomérations. Il nous appartient à nous, maires de territoires ruraux, de maintenir une qualité de vie et une animation communale qui permettent que nos villages ne deviennent pas de simples cités dortoirs. Le lien social, la vie culturelle et associative, les clubs sportifs, mais aussi le maintien de services publics, la qualité des aménagements urbains, la diversité de l’offre commerciale, la préservation de services médicaux et paramédicaux, sont les leviers sur lesquels nous devons jouer pour conserver à nos villages et petites villes une âme et une attractivité. 

La décentralisation avait pour but de rapprocher la décision du terrain. Or, de nombreux citoyens se sentent éloignés de leurs représentants territoriaux. Comment combler ce fossé démocratique ?Comme beaucoup de nos concitoyens, j’observe et regrette ce fossé qui est en train de s’accentuer entre nos élites et les Français(e) s. Le régime politique de la Vème République, qui concentre tout le pouvoir entre les mains d’un seul, participe de cet éloignement. Et même quand les choix sont discutables avec des résultats décevants, voire alarmants – aujourd’hui dans la stratégie de lutte contre la pandémie, hier dans la lutte contre le chômage et la précarité  –, le mea culpa n’est pas de mise. Jamais. À l’inverse, au niveau local, il n’est nul besoin de faire de la « comitologie » ou de la « réunionite » pour avoir le retour du terrain sur nos actes et décisions. En tant que Maire et Président de la Communauté de communes La Domitienne, j’ai l’habitude de dire que je suis à longueur d’engueulade de la part de nos habitants. Cette proximité est salutaire ; elle empêche de perdre le sens des réalités et des priorités.

Quel doit être selon vous le rôle de l’état aujourd’hui dans les politiques d’aménagement du territoire et de rééquilibrage ?
L’État ne peut plus se contenter d’une vision monolithique de la France. La décentralisation mise en œuvre à partir de 1982 et plusieurs fois renforcée depuis, notamment avec l’avènement des intercommunalités, n’a en rien remis en cause l’unité de la République. Au contraire. Les besoins ne sont pas les mêmes d’un bout à l’autre du pays. Il faut donc accepter que chaque territoire puisse tirer arguments de ses particularités pour bénéficier d’un traitement différencié de la part de l’État. Mais ces dernières années, nous avons assisté à une inflation des « appels à projet  ». Or, dans une logique de rééquilibrage des territoires, une telle démarche est au final contre-productive. En effet, dans un appel à projet, le soutien financier et l’ingénierie de l’État vont aux seuls territoires qui, dans des délais très brefs, sont en capacité de « cocher » toutes les cases des conditions d’éligibilité et de maturité des dossiers. En plaçant les territoires dans une logique de compétition les uns contre les autres, une telle pratique ne concourt au final qu’à renforcer les déséquilibres territoriaux. Cependant, depuis quelques mois, nous semblons assister à une évolution du logiciel de l’état en matière de relation avec les territoires.

Le positionnement médiatico-polémique de certains élus locaux peut-il nuire à l’engagement de l’ensemble du millefeuille territorial en faveur de la redynamisation de certains territoires ?
Pensez-vous que l’arrogance et la mésestime permettent de retisser du lien ? Croyez-vous que l’invective et la catégorisation systématique de nos concitoyens soient source de cohésion et de fraternité ? Personnellement, j’en doute.  Le temps médiatique, celui des plateaux télés, n’est pas le temps du politique. Bien sûr qu’en tant qu’homme politique je communique sur ma conception de la vie, sur mes projets, sur nos réalisations… mais la communication n’est qu’un moyen, elle ne saurait être une fin. Surtout lorsqu’elle n’a comme objectif que celui de choquer, de diviser et de catégoriser nos concitoyens. Si vous aviez le choix entre vous afficher avec quelqu’un de clivant, adepte des oukases, ou travailler en partenariat avec quelqu’un de posé, constructif et respectueux des personnes et des institutions, vers qui iriez-vous naturellement ? Sans vision construite, la posture politicienne flatte l’égo mais n’apporte rien au fond. Passés les effets d’annonce d’une affiche publicitaire choquante, la situation de départ demeure,  si elle ne s’est pas dégradée entre temps. La situation de nos territoires est telle qu’elle mérite attention et, surtout, une approche partenariale.