Michel Derdevet, on dirait le Sud
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Michel Derdevet, on dirait le Sud

Le Biterrois Michel Derdevet est un personnage à part dans le mundillo économico-politique, un homme de convictions, au sens où Kennedy disait : « Ne sacrifiez jamais vos convictions politiques pour être dans l’air du temps ». À l’heure où la destruction des services publics est enclenchée, alors que la violence du capitalisme financier noie les plus fragiles et emporte toute résistance, il reste l’un des rares à défendre et à promouvoir un retour en force du service public tout en affirmant que c’est dans l’énergie verte et la décarbonation que se trouve notre principale planche de salut. Mais pas chacun de son côté. Ensemble, entre européens.

Michel Derdevet, tout d’abord, quelques mots sur vos origines et votre jeunesse.
Je suis né à Béziers, mais mes premières années ont été nissanaises puisque mon père était facteur à Nissan-lez-Ensérune tandis que ma maman y était institutrice. Bref, un « terreau » républicain qui m’a marqué, dans un beau village où je garde encore aujourd’hui beaucoup d’amis.

« Exilé » biterrois, vous avez occupé de hautes fonctions au sein de collectivités et d’organismes d’État. Pouvez-vous nous retracer votre parcours professionnel, de Béziers jusqu’à Paris ?
À mon entrée en sixième, j’ai rejoint le lycée Henri IV et cela a été sept années de bonheurs et de rencontres avant qu’une fois mon baccalauréat en poche, je ne rejoigne la Faculté de Droit de Montpellier où j’ai obtenu mon DEA en 1983 et où j’ai enseigné deux ans. Avant que la politique ne me rattrape avec l’entrée au Cabinet de Gérard Saumade alors Président du Conseil Général de l’Hérault, puis de Martin Malvy lorsque celui-ci est devenu Secrétaire d’État à l’énergie dans le gouvernement de Laurent Fabius. En 1986, le hasard de la vie, et la rencontre de mon épouse, m’a amené à rester à Paris et à engager une carrière industrielle au sein d’EDF, d’abord auprès de Marcel Boiteux, Président de cette belle entreprise pour lequel je forme encore aujourd’hui respect et amitié, puis en 2000 à RTE, et, enfin, à Enedis, où j’ai été Secrétaire Général et membre du Directoire de 2012 à 2020. C’est d’ailleurs à ce titre que j’ai inauguré en février 2019 les nouveaux locaux d’Enedis de Béziers, sur la ZAC Bastit.

Le service public n’est pas une valeur du passé

Vous semblez particulièrement attaché à la notion de service public.
C’est exact. Une constante dans ces plus de trente cinq ans passés : la conviction que le service public, que ce soit dans un conseil départemental, en cabinet ministériel ou dans une entreprise publique, ce n’est pas une valeur du passé. Au contraire, il y a du sens à se consacrer toute sa vie à l’intérêt général !

Malgré vos fonctions parisiennes, quels liens avez-vous gardé avec votre ville natale ?
J’ai gardé un lien affectif très fort avec Béziers, constitué par les nombreux amis de mes années de jeunesse que je revois fréquemment, ceux qui restent de ma famille et malheureusement mes deux parents qui reposent sous les cyprès du cimetière neuf.

Si l’on en croit votre CV et vos publications, vous êtes un européen dans l’âme.
C’est une évidence. Je crois, en politique comme ailleurs, aux bienfaits d’une « colonne vertébrale » et d’engagements pérennes qui construisent et structurent une vie d’homme. Pour moi, l’Europe est à l’évidence cette « matrice ». Très jeune, à l’heure où certains agitaient ici les peurs face à l’entrée de l’Espagne et du Portugal dans l’Union européenne, je considérais déjà que le repli sur soi et l’exacerbation des clivages et des oppositions stériles, que ce soit en France ou en Europe, ne peuvent qu’engendrer de la détestation mutuelle et des conflits, violents et inutiles, tels que celui que nous vivons depuis le 24 février 2022 en Ukraine.

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Vous êtes également président de la Maison de l’Europe à Paris, ainsi que du Think Tank européen « Confrontations Europe ». Vous pouvez nous décrire ces deux organismes et leurs objectifs ?
La Maison de l’Europe de Paris est une association d’intérêt public, constituée en 1956, qui vise à accueillir tous les Parisiens et les Franciliens, quelles que soient leurs convictions, pour débattre librement des sujets européens du moment, qu’ils soient économiques, culturels ou politiques. Quant à « Confrontations Europe », ce laboratoire d’idées a été créé en 1992 par l’économiste Philippe Herzog et Michel Rocard, et nous militons depuis pour une Europe citoyenne qui ne se réduise pas à un simple marché, mais qui intègre pleinement la dimension sociale, démocratique et environnementale.

Justement, vous semblez dans vos écrits être particulièrement sensible à ces questions environnementales ; pourriez-vous préciser votre positionnement sur ce sujet ?
L’urgence climatique n’est pas une illusion ou une utopie ; on la touche du doigt en Occitanie avec les records de température, les épisodes cévenols à répétition, la fréquence accrue des incendies liés à la sécheresse, la crise de l’eau qui touche les Pyrénées-Orien- tales, mais aussi désormais l’Hérault. Il faut donc en faire la priorité politique, tant au plan européen, national que local. L’adaptation de nos modes de vies, les changements de comportement et une plus grande résilience collective, ce sont des sujets qui nous concernent tous, et les collectivités doivent en faire la priorité des politiques publiques qu’elles mettent en œuvre. De ce point de vue, Béziers a de formidables atouts, avec des acteurs industriels de tout premier plan, notamment dans le domaine des énergies re- nouvelables et de l’hydrogène.

En votre qualité d’ancien cadre dirigeant d’EDF, quel regard portez-vous sur la crise énergétique qui frappe le pays ?
Cette crise est le produit de l’utilisation par Vladimir Poutine de l’arme gazière comme outil géopolitique ; cela a entraîné des mouvements erratiques sur les prix du gaz, et de manière liée de l’électricité. Mais nous avons aussi subi, de manière conjuguée, les difficultés de fonctionnement de notre parc nucléaire. Au-delà de ces deux facteurs conjoncturels, nous devons nous attaquer aux racines du réchauffement climatique que j’évoquais précédemment ; il faut d’urgence sortir des énergies fossiles importées comme le charbon, le pétrole ou le gaz qui grèvent nos portefeuilles et privilégier les énergies décarbonées, c’est-à-dire renouvelables, comme le photovoltaïque et l’éolien, mais aussi le nucléaire. Plutôt que les opposer, nous devrions accélérer dans ces deux directions pour tenter de limiter le réchauffement en deçà d’une augmentation de 2°C.

Avec un taux de pauvreté parmi les plus élevés d’Occitanie, quelles sont les solutions qui permettraient à un territoire comme le nôtre de faire face aux défis économiques et sociaux qu’il rencontre ?
Il faut avant tout privilégier une dynamique de solidarité et d’ouverture, c’est à dire renforcer les liens avec les autres collectivités comme le Département ou la Région, avec lesquelles des partenariats sont possibles. Mais il convient aussi d’attirer des entreprises susceptibles de s’implanter et de créer des emplois dans l’Ouest de l’Hérault quels que soient leurs secteurs (agriculture, énergie, tourisme vert, économie des seniors, etc). La réponse aux difficultés économiques et sociales de Béziers passe d’abord par la création d’emplois, notamment pour lutter contre le chômage des plus jeunes, et par l’attractivité économique de tout le Biterrois. Le discours public doit être totalement dédié à cet objectif.

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