Arbre E. Saldana, loup blanc du rock montpelliérain
Photo : Arbre E. Saldana

Arbre E. Saldana, loup blanc du rock montpelliérain

Black SheepRockstore et Black Out sont ses tanières. Sa réputation d’ingénieur du son live n’est plus à faire tant l’énergumène a fait sonner des groupes dans quelques-unes des meilleures salles d’Europe. Un peu nonchalant, un peu hyperactif, toujours très juste, il travaille sur une myriade de projets différents. Sondier européen du groupe américain Maserati, il est derrière la console de mixage d’une partie de la scène rock héraultaise (Fabulous Sheep, Shub, Lullies, Adolf Hibou…). Gamins des 90’s et de la culture skate, il monte un quatuor noise rock avec Vincent, batteur à la frappe lourde, Samy, le chanteur fou, et Fred, guitariste émérite du groupe Marvin. Ils sont notamment les instigateurs d’un festival pirate, secret et devenu culte : Le Samynaire. Sur les plages de Palavas, une nuit de juin, une vingtaine d’artistes du coin joue du début de soirée jusqu’au matin, sans autorisation. Trente minutes de set par artiste, pas de rémunération, pas de bars, tout est monté le jour même, dans une organistation très relative. Do it Yourself ! Une nuit de rock dans un cadre de free party pour des éditions mémorables.
Ces dernières années, il développe son talent de photographe et expose ses clichés Galerie Saint-Ravy, au Times, au Discopathe, à la Casa Picaflor ou au Bar à Photo où l’on est restés scotchés par sa session mexicaine… Entrevue avec un sacré personnage, talentueux, fort en gueule et très attachant

On a un peu de mal à te cataloguer : photographe, musicien, ingé-son live, travailleur en studio, organisateur de soirées, régisseur de salles de concerts… Tu te définis comment ?
Tu as assez bien résumé une bonne partie de mes activités depuis plus de 20 ans ! J’ai été un peu tout ça en effet, mais dit comme ça, ça sonne un peu comme un hyperactif qui jongle peinard avec douze casquettes. Il ne faudrait pas me faire passer pour quelqu’un qui n’aime pas son canapé et son chat !

Tu as deux domaines d’activité princi- paux, la musique et la photo. Quel ont été les déclencheurs de ces passions ?
La musique, ça a été très jeune quelque chose de fascinant, d’attirant. Mes parents m’ont payé des cours de piano dès mes 6 ou 7 ans, ce qui m’a permis de comprendre, ou plutôt de survoler quelques uns des méca- nismes généraux de la musique. Mes voisins, plus âgés, m’ont très jeune fait écouter Iron Maiden, Megadeth, Nirvana, Guns’n’roses, puis les Beastie Boys, le Wu-Tang Clan… Ça donne vite envie d’attraper une guitare électrique ! J’ai commencé vers 14 ans et quelques mois plus tard, je jouais dans mon premier groupe.
La photo, j’en faisais aussi un peu quand j’étais ado avec des appareils automatiques, mais ce n’était pas vraiment une discipline, je faisais juste de mon mieux pour ramener des souvenirs à la maison. Puis sont arrivés les appareils numériques, j’ai pas mal shooté avec un compact. C’est devenu un peu plus sérieux quand j’ai racheté un boîtier numérique en 2010 à ma copine de l’époque qui était photographe. Tout de suite, en l’espace de trois mois, je récupérais un réflexe argen- tique tout neuf qui appartenait à mon grand- père, puis j’ai acquis un moyen format, j’ai monté un labo avec l’aide de copains et me suis en fait retrouvé tout seul dedans. Le vrai déclencheur, à chaque fois, c’est que des copains me font découvrir quelque chose ! Ça a été la même chose pour le skate-board, le trial, la boxe, le végétarisme…

Niveau photo, quelles sont tes influences, les photographes qui t’ont marqué ? 
D’abord mon entourage. Nathalie Bergström, Christophe Cordier, Narjes Behbehanni, Christophe Lecocq, les copains quoi. Sinon, je ne peux pas dire que je sois véritablement influencé par des photographes connus, bien que j’aime beaucoup Friedman, Templeton, Le Caravage, Adams, Milk, Anderson, Brassaï, Depardon, Mortagne, Parr…

Tu photographies beaucoup les gens. Que veux tu montrer d’eux ?
J’aime simplement les prendre en photo, comme je les vois, beaux. J’aime le moment ou je déclenche. C’est LE moment le plus exaltant du processus, quand tu sens que celle-là, c’est la bonne.

Dans ta dernière exposition Lost in Mexico, l’humain disparaît presque complètement du cadre. Qu’est ce qui a motivé ta session paysages/lieux au Mexique ? 
N’étant pas un grand voyageur, en dehors des tournées en Europe, les paysages mexi- cains se sont imposés à moi. Les couleurs, l’architecture, les paysages… Comment résister ? En effet, dans cette exposition, l’humain n’était que peu présent. L’exposition qui a suivi juste après, Happy as Fuck, au contraire elle, était complètement centrée sur l’humain et sa solitude.

Il sort toujours quelque chose de l’ennui

Au niveau culture, monde de la nuit, scène musicale, Montpellier était-elle très différente d’aujourd’hui dans les 90’s ?
Oui, la ville a pas mal changé, elle s’est assagie, « nettoyée » pour le bonheur des associations anti-bruit. Beaucoup de petits lieux ont disparu, ce qui entraine inévitablement un délitement de la scène rock au sens large. Ce qui ne veut pas dire que la culture est morte pour autant. Mais elle peine à exister sans grand renfort d’argent public. Les lieux indépendants finissent inévitablement par baisser les bras face au voisinage procédurier, à la lourdeur de la tâche, au peu de reconnaissance de la mission d’intérêt public qu’ils remplissent pourtant vaillamment. Pour te répondre, je dirais qu’on s’est bien marrés dans les 90’s, que le début 2000 a été plus fastidieux, on s’est révélés et on a vraiment senti qu’il se passait quelque chose qui nous a animés entre 2005 et 2020. On a connu ce que voulait dire une « scène ». On a beaucoup partagé avec plein de groupes, d’orgas, on se suivait, on se soutenait. Aujourd’hui, le constat est amer, mais j’ai confiance. Je vois plein de choses qui se font, sur un autre modèle, un peu plus excentré, tout de suite un peu plus professionnel. À chaque génération sa façon de s’adapter aux contraintes. J’ai déjà assisté à plusieurs périodes creuses et il sort toujours quelque chose de l’ennui.

Photo : Arbre E. Saldana

Tu travailles avec Maserati, un groupe de rock américain avec qui tu tournes partout en Europe. Comment s’est faite cette rencontre ?
On s’est rencontré au Black Sheep, comme pas mal de groupes avec qui j’ai collaboré.

C’est quoi le Black Sheep ?
Le Black Sheep, c’est un bar à bières, mais c’est surtout la dernière petite salle à taille humaine, bien équipée en sono, où on peut écouter du rock dans le centre de Montpellier. Ça fait presque 3 ans que la salle de concert dort, à cause successivement de la crise du Covid et de la fermeture administrative pour travaux. Situation aggravée par le voisin qui nous bloque l’avancement des travaux de mise aux normes.

Cela fait plus de 20 ans que tu es très actif dans le milieu de la musique. Comment vois-tu le circuit de la musique live en France et son évolution sur ces 20 dernières années ?
Les villes ont évolué, les salles avec. Quand elles ne ferment pas… J’ai peur de ne pas avoir une vraie analyse. Je constate seulement que beaucoup sont à l’agonie, que pas mal d’acteurs se sont retirés du circuit pour diverses raisons, dont moi, par manque de temps. Je vois néanmoins ici et là de nouvelles salles ouvrir, et je croise pas mal de gens toujours très engagés dans la musique dans ce pays. Marseille montre par exemple une dynamique qui va dans le bon sens en ce moment. Abel, de Head Records, qui est aussi le programmateur du Black Sheep, fête ses 20 ans d’activité sans interruption. Il sort encore et toujours des disques, organise des concerts, accompagne les groupes.

Originaire de Montpellier, quel regard portes-tu sur Béziers ? Quel rapport as-tu avec cette ville ?
Gamin, c’était LA ville ennuyeuse pour moi. Je ne ferai pas de commentaire sur le fait qu’une bonne bande de vos concitoyens a cru bon d’élire comme maire un tel personnage… Sinon, depuis une dizaine d’années, à mes yeux, c’est la ville de Fabulous Sheep, avec qui je travaille avec bonheur depuis plus de 6 ans comme ingé-son et photographe. Ils ont redoré le blason de la ville ! Un troisième album est en cours de création, j’ai hâte !

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